MINUTE PASTORALE NO. 240

    LA COMPASSION DE JÉSUS ET LA NÔTRE…

    Compatir c’est partager la souffrance de l’autre. C’est vraiment comprendre et bien saisir ce que l’autre éprouve et le faire sans préjugé et avec franchise. Compatir n’est pas faire semblant ni simplement user de convenance ou de condescendance. Cela suppose un authentique oubli de soi pour entrer dans l’âme de la personne souffrante; personne n’apprécie de compassion hypocrite car on le sent si ce sentiment ne vient pas sincèrement du fond du cœur. Ouvrons les évangiles et imprégnons-nous de la profonde compassion de Jésus envers ces gens qui souffrent, peu importe qu’il en soit de leur faute; ils souffrent et cherchent une personne compatissante. André Chouraqui traduit pitié et compassion par être pris aux entrailles.

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    Jésus, voyant les foules, fut pris de pitié : il les voyait harassées, fatiguées et errantes comme des brebis sans berger (Mt 9,36). Il ne ferme pas les yeux ; son regard se pose sur elles et il répond à leur besoin de sens et d’espérance.

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    Jésus, voyant les foules, fut pris de pitié : il les voyait harassées, fatiguées et même prostrées et errantes comme des brebis qui n’ont pas de berger (Mt 9, 36). Notons d’abord que Jésus les voit; il ne ferme pas les yeux; son regard se fixe sur eux, il saisit leur lassitude, leur découragement et leur égarement. Ces gens ,précise Marc, sont venus à pied et ont même couru pour rencontrer Jésus qui arrivait en barque avec ses disciples; Jésus ne peut que compatir avec eux. Il répond à leur besoin de sens, car ils errent ne sachant à qui se vouer, il répond à leur fatigue et à leur découragement en les enseignant longuement, nous rapporte Marc. Que leur enseigne-t-il? Sans doute l’arrivée du Royaume de Dieu, que toutes les Écritures laissent entrevoir et une annonce qui éveille ce besoin d’espérance; bref un bon remède contre l’errance et la recherche de sens à la vie. Pour ces gens, Jésus se présente alors vraiment ce bon berger qui connaît les besoins de ses brebis et les guide.

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    En Matthieu, (15, 32), nous sommes de nouveau témoins de l’extraordinaire compassion de Jésus appelant ses disciples et qui leur dit : «J’ai pitié de cette foule, car voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi, et ils n’ont pas de quoi manger. Je ne peux les renvoyer à jeun; ils pourraient défaillir en chemin, de plus il y en a parmi eux qui sont venus de loin, ajoute Marc. Jésus non seulement compatit avec eux mais enclenche le miracle de la multiplication des pains. Jésus répond en les nourrissant afin qu’ils puissent retrouver les forces nécessaires pour reprendre la route parfois longue et pénible.


    Le texte précédent souligne que Jésus nous nourrit de sa Parole (il les enseigna longuement) tandis que ce second texte nous rend témoins d’un Jésus qui donne le pain de vie, gage de force pour la route de la vie. Et il le fait avec énormément d’amour pour eux comme pour nous.

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    Précédemment, la compassion de Jésus touche de grandes foules. Voyons maintenant comment elle se fait sentir auprès d’individus très concrets.


     Deux aveugles, assis au bord du chemin, apprenant que c’était Jésus qui passait, se mirent à crier : «Seigneur, Fils de David, aie pitié de nous!» la foule les rabrouait pour qu’ils se taisent. Mais ils crièrent encore plus fort : «Seigneur, Fils de David, aie pitié de nous!» Jésus s’arrêta, les appela et leur dit :«Que voulez-vous que je fasse pour vous?» Ils lui disent : «Seigneur que nos yeux s’ouvrent!» Pris de pitié, Jésus leur toucha les yeux. Aussitôt ils retrouvèrent la vue. Et ils le suivirent (Mt 20, 29-34).


    Aux forts cris des deux aveugles, la foule agacée leur demande de se taire; seul Jésus s’arrête car il a perçu leurs souffrances de ne pas voir. Même leurs cris répétés n’arrivent pas à toucher cette foule qui fait preuve de la plus triste indifférence. Jésus, lui, prend la peine de s’arrêter, il est pris de compassion et porte intérêt à leur demande. Si Jésus ne s’était pas arrêté, ces aveugles seraient demeurés aveugles et en plus n’auraient pas pris l’initiative de suivre Jésus comme disciples. Cette compassion de Jésus nous interroge car, trop souvent, nous demeurons sourds aux revendications de ceux qui crient leur besoin d’être entendus, considérés et aidés; leurs cris insistants dérangent notre vie paisible et nous sommes plus ou moins tentés de ne leur offrir que nos préjugés : pensons à la détresse des sans-abris, des locataires exploités, d’un jeune ou d’une personne qui se plaint trop à notre avis et à combien d’autres tout près de nous. Rabrouer est souvent un premier réflexe.

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     Jésus ,accompagné de ses diciples et d’une grande foule, se rendit dans la ville de Naïn. Il est témoin d’un cortège funéraire rassemblant une foule considérable : on portait en terre le fils unique dont la mère était veuve. Cette foule avait compris tout le désarroi de cette citoyenne qui n’avait plus personne ni avenir dans sa vie, une femme seule contrainte à la pauvreté. Jésus, en la voyant, fut lui aussi pris de pitié pour elle et lui dit : «Ne pleure plus.» Il toucha la civière, redonne vie au jeune homme et le remet à sa mère. 


    Nous pouvons extrapoler que Jésus pense alors à sa propre mort et à la douleur de sa mère Marie. Il sait que sa propre mort enveloppera les siens de tristesse. «Ne pleure plus». Quelle touchante compassion de sa part! Et Jésus de soulever la joie de sa propre résurrection qui sera source d’une nouvelle vie bien au-delà du deuil. Ce texte souligne également la compassion de la foule qui a tenu à partager la douleur de cette femme. Oui, la communauté a, elle aussi, à témoigner de compassion envers un ou une de ses membres éprouvé soit par un décès, soit par de malheureuses situations de vie comme la pauvreté, la maladie, le chômage… Jésus interpelle donc ses diciples et la foule qui le suit à s’arrêter pour compatir avec lui et fuir toute tentation d’indifférence.

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    Un dernier texte mérite notre attention sur un Jésus compatissant : la guérison d’une femme courbée, un jour de sabbat.


     Jésus est en train d’enseigner dans une synagogue, le jour du sabbat. Il y remarque une femme possédée d’un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans; elle était toute courbée et ne pouvait se redresser complètement. En la voyant, Jésus lui dit : «Femme, te voilà libérée de ton infirmité. Il lui imposa les mains et elle redevint droite et se mit à rendre gloire à Dieu. 


     Ce geste de Jésus indigna le chef de la synagogue qui reprocha à Jésus d’opérer cette guérison le jour du sabbat, plutôt que le faire les autres jours de la semaine.Jésus lui rétorque : «N’est-ce pas le jour du sabbat que tu détaches ton âne où ton bœuf pour le mener à boire? Et cette femme liée depuis dix-huit ans n’est-ce pas le jour du sabbat qu’il fallait la libérer?» 


    Que de raisons avançons-nous pour justifier nos manques de compassion envers une personne handicappée ou blessée par la vie: «La loi l’interdit… tu te présenteras plus tard…» Que d’excuses pour prioriser une omission aux dépens d’un prochain ou d’une prochaine qui sollicite une aide sans retard : la compassion de Jésus ne se limite pas aux caprices du calendrier; pour lui, la personne souffrante avant tout. Dès qu’il la voit, Jésus perçoit son désir de libération, et il agit. Le texte souligne, à la fin, que l’intervention de Jésus couvre de honte ses adversaires et toute la foule présente.


    Dans la bible, la femme représente souvent le peuple ou la communauté. Aujourd’ui, notre société et le monde sentent instinctivement le sentiment de compassion envers le peuple palestinien qui souffre injustement des frappes israéliennes, de la famine et de la destruction massive de leur espace de vie. Cette compassion s’exprime par de fréquentes et nombreuses manifestations un peu partout dans le monde : on sympathise, on s’indigne, on se soulève. Une telle compassion ne semble pas du tout toucher les dirigeants et certains chefs d’États ni les intéressés dans le scandaleux commerce des armes. Ici aussi l’indifférence risque de noyer notre compassion sous le prétexte de l’impuissance et du peu de retombées sur notre sécurité confortable. En Église, comment réagissons-nous ou bien ne réagissons-nous pas? Jésus persiste encore aujourd’hui, auprès de nous ses disciples, à nous joindre résolument à tout mouvement de compassion envers ces frères et sœurs d’Haîti, du Soudan, de l’Ukraine et de nombreux pays africains qui souffrent injustement de la guerre, de la famine ou de la répression sous toutes ses formes. Aimer, c’est éprouver dans notre cœur et dans notre âme, une authentique et franche compassion telle que nous l’exigerions pour nous-mêmes, sujets à de pareilles souffrances. Nous impliquer par la prières et des actions pour la libération de tant de gens courbés, certains depuis beaucoup plus de dix-huit ans. Il s’agit de réfléchir à nos attitudes face à nos concitoyens autochtones et à tous ces réfugiés qui frappent à nos frontières et qui s’attendent de notre part à une authentique compréhension de leur situation.


    Parcourir l’évangile, c’est nous ouvrir largement à la compassion de Jésus pour nous et pour le monde. L’Évangile ne peut que nous ouvrir le cœur et l’âme à de compatissantes prières d’intercession pour la souffrance humaine. Il nous est et nous sera toujours urgent de nous imbiber de la compassion de Jésus : «Avec moi, laissez-vous touchés par ces foules qui ont faim de pain et de Paroles de Dieu, ne les renvoyez jamais à jeun; certains viennent de loin comme ces migrants et réfugiés; ne les retournez pas chez eux!


    On ne peut compatir que si notre cœur déborde d’amour pour notre prochain qui souffre; l’amour de l’autre ne supporte pas l’indifférence.


    Jean‑Pierre Joly, ptre.
    En cette journée du 30 octobre, journée consacrée à la vérité et à la réconciliation avec les peuples autochtones.